Armen Agop : Le mystique du royaume divin
May Sélim 27-11-2013
Sculpteur égyptien d’origine arménienne, Armen Agop vit depuis 13 ans à Pietrasanta, en Italie. Abstrait, sobre et perfectionniste, son style a quelque chose de soufi, de véritablement authentique … à l’image de lui-même.
Ses sculptures empruntent à la danse soufie un mouvement latent. Certains disent y voir le désert égyptien avec ses lignes et ses perspectives. Et en Italie, on résume son travail par ces mots : « C’est le travail de l’Egyptien ». Inconsciemment ou consciemment, il garde cet air exotique, voyageur et spirituel.
D’origine arménienne, Armen Agop réside à Pietrasanta depuis l’an 2000. Ses sculptures en bronze ou en basalte ou de granit noir reflètent une abstraction mystique, leurs lignes trahissent une sensualité délicate et subtile. Il les dépouille de tout le superflu et ne conserve que l’essentiel, le vrai. Ce sont plutôt des êtres qui se trouvent en parfaite harmonie avec tout le reste. Ensemble, ils créent leur propre monde et se détachent du quotidien, invitant les gens à un voyage différent.
Agop caresse ses sculptures, grâce à elles, il développe ses questions existentialistes. Il les contemple avec admiration, puis dit : « Dans ma série de sculptures cylindriques, je garde presque le même matériel, la même texture, approximativement les mêmes proportions pour chaque pièce. Plusieurs personnes les trouvent semblables. Mais la spécificité de chacune ne devient apparente que lorsqu’on les aperçoit ensemble. Entre elles, il y a une relation différente. Aucune pièce ne cherche ni à attirer le public, ni à faire acte de présence ».
Le sculpteur passionné va encore loin, il est fier de son royaume « divin » qui s’étend dans les salles d’une galerie : « Mes sculptures regardent le public avec orgueil, avec un sentiment de supériorité ». Agop sourit. Pendant quelques secondes, il a l’air ici mais ailleurs. Puis, il reprend ses esprits. « Ce rapport qui existe parmi les sculptures est important, il doit exister aussi entre les êtres humains. Or, ce n’est jamais le cas », déplore-t-il, montrant du doigt la société actuelle, minée par les intérêts personnels et la rivalité. Idéalisme ? Sans prétention aucune, il avoue qu’il lui est difficile de mettre ses pensées en mots. Il s’exprime plutôt à travers la sculpture, usant son style personnel, pour dire juste l’essentiel. Et c’est à nous de s’attarder sur ses valeurs nobles.
Depuis l’an 2000, Agop réside en Italie sans jamais perdre le lien avec son Egypte natale. Pendant la révolution du 25 janvier 2011, il était collé à son ordinateur, suivant les menus détails : « J’étais presque isolé, je ne sortais pas pendant 3 mois. Finalement, j’ai réalisé que ce que je disais avec mes amis quelques années auparavant était faisable ». Souvent en parlant avec des artistes ou des intellectuels, Agop prévoyait le déclenchement d’une révolution.
Pourtant, il était souvent vexé. « C’était déprimant d’être entouré par de nombreuses personnes qui ne croient pas à ce qu’on dit. Et d’habitude j’entendais cette phrase : rien ne va se passer. Le pire est que c’était l’avis de plusieurs intellectuels. Je me disais souvent si l’élite pense ainsi, que pensent alors les petites gens ? La révolution nous a montré que les jeunes ont fortement cru au changement et ont brisé tous ces préjugés », estime-t-il. Mais malheureusement, la révolution a dévié, elle n’a pas pris le bon chemin. Après le 30 juin et la chute du régime des Frères musulmans, Agop aspire à une plus grande stabilité, à la transparence. « C’est bien ce qui est arrivé. Mais je crois qu’on est encore dans la confusion. Beaucoup d’incidents sont incompréhensibles. Quelque chose manque encore. Le puzzle n’est pas résolu. Ceux qui ont fortement cru au changement commencent à perdre confiance et à se lasser. Mais j’ai beaucoup d’espoir en l’avenir. On a appris comment défendre nos rêves et on arrivera un jour à les concrétiser », souligne le sculpteur.
Encore enfant, Armen Agop se contentait de dessiner, de jouer avec la pâte à modeler. Au lycée, il fréquentait l’atelier du peintre Simon Chahrigian. « Pendant mon enfance ma mère m’encourageait à suivre des cours de dessin à l’atelier de Chahrigian. Moi, je refusais parce que je savais que je dessinais bien. Plus tard, j’ai voulu juste mieux maîtriser les détails, les volumes, le jeu de lumière, etc. Volontairement, je lui rendais visite à l’atelier », raconte-t-il.
En dessinant une forme sur papier, il avoue : « Je m’intéresse à tracer les contours et je vois ce que je dessine en 3D. C’est toujours ainsi ». Le sculpteur en lui est toujours alerte.
Il se rappelle un souvenir lointain et rit de tout coeur : « Un de mes amis allait passer à l’appartement d’un de ses proches au quartier d’Al-Qolali. Je l’ai accompagné. Dans un corridor, j’ai découvert par hasard un sac d’argile provenant d’Assouan. Je n’ai pas résisté ; j’ai refusé de quitter les lieux avant d’emporter une part de cette argile. C’était mon premier vol ».
S’inscrire aux beaux-arts était donc un choix naturel. Mais que choisir : section peinture ou sculpture ? Un vrai dilemme. « Durant les années 1980, la section sculpture était considérée comme celle sans avenir. La section des faibles. Tout le monde cherchait à faire gravure ou peinture pour être sûr de trouver une chance de travail plus tard », se souvient-il. C’était une période durant laquelle la sculpture, et surtout celle de la pierre, tombait dans les oubliettes.
« En faisant les cent pas dans la cour de la faculté, j’ai croisé un professeur de sculpture. Je lui ai parlé de ma confusion et sa réponse fut rapide : pourquoi mon fils cherches-tu à détruire ton avenir ? », un éclat de rire s’empare d’Agop en se rappelant cette conversation. Mais ce jeune confus, épris d’un basalte noir dans la cour de la faculté, l’a pris et a commencé à le tailler. C’était le signe attendu.
Diplômé, Armen Agop avait déjà son propre style. Il préférait le granit et le bronze. Les deux matériaux nobles. Au symposium d’Assouan sur la sculpture, il taillait un bloc monumental de granit reposant sur un seul point d’appui, lequel oscille suivant le vent. « Ce travail n’est jamais fini. J’ai souvent pensé revenir à Assouan pour l’achever. Mais c’est vraiment difficile de revenir en arrière », conclut-il. Quelques mois plus tard, il gagne le Prix de Rome, récompense d’Etat pour la créativité artistique, qui lui offre une bourse permettant de poursuivre sa formation de sculpteur en Italie. « La sculpture a besoin d’une concentration totale. L’idée d’avoir un sponsor et d’avoir le temps juste pour travailler et ne rien faire d’autre », dit-il.
La participation à de multiples expositions et le contact avec plusieurs curateurs, pendant son séjour à l’étranger, l’ont fortement marqué. « En parachevant mes études, j’ai pris part à plusieurs expositions et j’ai reçu des prix internationaux. Vers la fin de ma bourse, j’avais un projet d’exposition avec une directrice de galerie suisse. Cette exposition était un rêve pour moi. Mais malheureusement la galeriste fut atteinte d’une maladie fatale et l’exposition a été annulée », lance-t-il.
Continuer à vivre et à travailler en Italie ou revenir en Egypte et enseigner à la faculté des beaux-arts ?
Sans argent et sans plan, Agop se trouvait contraint de quitter l’Italie et les ateliers de sculpture. Or un jour, il a reçu un coup de fil qui a bouleversé sa vie. On lui a commandé des tableaux gigantesques en relief pour la décoration d’un navire : « Mon travail fut très apprécié et la compagnie dirigeante m’a accordé la liberté de faire ce que je voulais, sans aucune intervention ». Un bon augure. Agop a touché son argent et il a pu rester en Italie. De temps à autre, il est invité à participer à une exposition par-ci par-là. « Mes sculptures sont sollicitées. Même si parfois je ne gagne pas beaucoup d’argent, au moins j’ai l’occasion d’exposer et de travailler librement », ajoute-t-il.
Après avoir passé 13 ans en Italie, Armen Agop est toujours installé à Pietrasanta où il y a un atelier continu de sculpture. Et se contente de ses expositions tenues de par le monde. « Mes amis doutent souvent de mon intelligence », dit-il. « J’ai mes propres critères qui ne répondent guère à l’image du sculpteur en succès selon les Européens et les Egyptiens. Car je refuse de participer à certaines expositions qu’ils jugent importantes et préfère m’éloigner des travaux sous commande. En fait, toujours on vous pose des questions afin de mesurer votre succès et vous étiqueter. Mais à quoi ça sert d’avoir un large public applaudissant mon travail, tandis que je n’ai aucune émotion. Dois-je chercher à plaire aux autres ou à moi-même ? », s’interroge Agop, le sculpteur-ermite. Aujourd’hui, il dévoile qu’il a besoin de se retirer quelque temps. « J’ai besoin de me refermer sur moi-même, de suivre mon propre chemin et de respirer. J’ai besoin d’un peu de temps, avec moi-même », conclut Agop, chez qui tout émane du for intérieur.
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